HÉRAULT - « Malgré des contaminations en hausse, nous sommes en train de sortir de l'exceptionnalité Covid »
Par Karine Lacombe, Sorbonne Université, le 05 Avril 2022
« Malgré des contaminations en hausse, nous sommes en train de sortir de l’exceptionnalité Covid »
Karine Lacombe, Sorbonne Université
Avec près de 150 000 contaminations en une journée, soit une augmentation de 50 % en une semaine, la France voit-elle se profiler une nouvelle vague de Covid ? Comment se faire une idée cohérente de la situation épidémique, alors que les chiffres en hausse semblent mettre en porte-à-faux le relâchement des mesures barrière et l’abandon de l’obligation du masque dans de nombreux espaces. Le Pr Karine Lacombe, infectiologue et Cheffe de Service des maladies infectieuses et tropicales (Hôpital Saint-Antoine, Paris), analyse l’évolution actuelle du Covid et de la grippe, dans le pays et à l’hôpital.
The Conversation-France : Le Covid était passé au second plan de l’actualité, mais il refait parler de lui avec la forte remontée des contaminations. Où en est-on finalement de l’épidémie ?
Karine Lacombe : Le virus, actuellement le variant Omicron BA.2, n’a jamais disparu… Sa transmission ne s’est jamais interrompue. Pourtant, malgré l’augmentation par vague des cas positifs, on n’assiste pas à une augmentation en parallèle des hospitalisations et surtout des passages en réanimation.
Ainsi, en Île-de-France, au 23 mars, on avait 294 personnes en soins critiques (108 à l’AP-HP) et 1430 personnes en hospitalisation complète (509 à l’AP-HP). C’est très faible par rapport à ce que l’on a pu connaître…
Clairement, l’épidémie prend un visage différent par rapport à ses débuts. La vaccination massive a eu en ce sens un impact majeur, ceci en moins d’un an.
On a maintenant des articles scientifiques, parus notamment dans le New England Journal of Medecine, qui montre que même si le vaccin protège moins d’Omicron, il y a tout de même une diminution de la transmission chez les personnes vaccinées. Comme c’est un virus hautement contagieux, il persiste bien sûr des contaminations – mais moindre.
On constate également l’effet de la vaccination au niveau des hospitalisations. Entre les personnes triplement vaccinées et celles qui sont doublement vaccinées, il y a moins d’hospitalisation et de décès chez les premières. Et l’immunisation se développe aussi suite à une infection.
D’où le fait que, malgré des transmissions en forte hausse, on reste à un niveau limité d’hospitalisation et de passage en réanimation.
T.C.-F. : Qui, désormais, est donc principalement hospitalisé ?
K.L. : Le profil des personnes qui sont actuellement hospitalisées, qui vont en réanimation et qui décèdent, est complètement différent de ce qui s’observait en début d’épidémie : ce sont majoritairement des personnes très âgées et immunodéprimées.
Pour les premières, il s’agit patients qui étaient déjà en situation de fragilité avec des pathologies associées, une qualité de vie très altérée – avec des situations cardiaque, rénale, neurologique compliquées. On a, chez eux, l’impression qu’attraper le Covid ne se manifeste pas un problème respiratoire comme ce qu’on notait précédemment, mais plus par un basculement, une détérioration de l’état général.
Les secondes sont les personnes qui n’ont pas pu être protégées par la vaccination ou les anticorps monoclonaux. Le variant Omicron BA.2 apparaît assez résistant à la plupart des molécules disponibles – seul Evusheld conservant une efficacité. Elles-mêmes ne font en général pas de forme grave respiratoire, même s’il peut y avoir atteinte pulmonaire.
Ces deux publics fragiles sont également sensibles à la plupart des autres viroses respiratoires – la grippe, mais pas seulement (infections dues aux métapneumovirus, etc.) Chez la plupart des gens, ils donnent des syndromes respiratoires limités qui durent quelques jours, mais qui ici les amènent à l’hôpital avec des pneumonies, etc.
On continue donc de recevoir des patients, mais ça devient peu à peu une pathologie de spécialité : maladies infectieuses, immunodépression… Si on avait un niveau de contamination comme celui que l’on a maintenant, et touchant tout le territoire, avec la pathogénicité que l'on avait lors de la première vague, on serait absolument débordé.
T.C.-F. : Peut-on donc dire que l’on entre dans une nouvelle phase de l’épidémie ?
K.L. : Il semble effectivement que le profil de l’épidémie change : celle-ci devient vraisemblablement endémique. Du fait d’une population désormais très largement immunisée – que ce soit par la vaccination ou par l’exposition au virus suivie de guérison.
Si le Covid nous a appris une leçon, c’est bien qu’il faut rester très humble devant les connaissances qu’on a… Quand je repense aux débuts de la pandémie en France, je me dis qu’on n’aurait jamais pu imaginer à une telle intensité. Jamais je n’aurais cru que dans notre hôpital, on doublerait le nombre de lits et que ce ne serait que du Covid – mais qu’on serait submergé malgré tout. Même quand on en parle maintenant, avec le recul, ça semble être irréel, de la science-fiction. On a été dans une réalité parallèle.
Aujourd’hui, pour l’heure, les signaux semblent plutôt positifs et malgré le très haut niveau de contamination, nous n’avons aucun indicateur qui soit au rouge à l’hôpital.
T.C.-F : Et ce, finalement, malgré l’absence de traitement…
K.L. En fait, il y a un point dont on ne parle pas beaucoup : le peu de prescriptions de médicaments antiviraux en médecine de ville, alors que l’on dispose maintenant de plusieurs molécules pour traiter de façon précoce le Covid chez les personnes à risque de formes graves. Il s’agit en l’occurrence du Paxlovid (nirmatrelvir/ritonavir).
Difficile encore de comprendre pourquoi. Manque de formation des praticiens ? Manque d’information des patients ? Mais c’est assez frappant.
Si ces traitements ne sont pas parfaits, ils permettent tout de même une diminution des hospitalisations et des décès – d’où une autorisation de mise sur le marché européen puis un accès précoce validé en France. Ils ne limitent pas l’intensité de la réplication virale, mais diminuent de 83 % le risque d’être hospitalisé et de faire une forme grave (en essais thérapeutiques, d’après le dossier d’autorisation de mise sur le marché).
T.C.-F. : La possibilité d’une moindre dangerosité d’Omicron a été évoquée. Que constatez-vous auprès de vos patients ?
K.L. : C’est difficile à dire. Pour déterminer exactement les symptômes d’Omicron, il aurait fallu qu’on puisse analyser uniquement des personnes qui n’ont jamais été en contact avec le virus – non vaccinées et jamais contaminées. Aujourd’hui, cette population est extrêmement limitée : ceux qui attrapent Omicron ont déjà été touchés auparavant ou vaccinés, donc les symptômes sont atténués.
On ne peut pas dire de façon formelle qu’Omicron est moins pathogène en tant que tel… Mais il parait moins l’être aujourd’hui car la population est largement immunisée.
Ce qu’on observe chez les patients, c’est qu’il touche plutôt la sphère ORL, et provoque plus de symptômes types trachéite, angine, catarrhe oculo-nasal (une inflammation aiguë ou chronique d’une muqueuse, ici avec yeux qui pleurent, nez qui coule, etc.). Et l’on a moins de signes neurologiques (beaucoup moins d’anosmie, d’agueusie), moins également de troubles digestifs, rénaux ou pulmonaires.
Mais là encore, l’évaluation de l’atteinte pulmonaire est à prendre avec précaution : les personnes immunodéprimées, qui n’ont pas d'anticorps protecteur, peuvent faire des formes pulmonaires.
Donc peut-être que lorsque l’on a été vacciné et que l’on attrape Omicron, on dispose d’une bonne immunité des voies respiratoires basses ou profondes (poumons, etc.), mais d’une immunité des muqueuses des voies aériennes hautes (sphère ORL) moins bonne. D’où le sentiment que ce dernier ne donne pas tout à fait les mêmes symptômes… En fait, ça pourrait être simplement que l’on n’a pas la même immunité pour y faire face.
On a aussi entendu parler du croup, qui toucherait les enfants. Il s’agit d’un abus de langage. Car le croup, que l’on trouve à l’origine avec la diphtérie, donne une angine avec de très grosses membranes blanches qui occultent le pharynx et peuvent entraîner des asphyxies. Si Omicron, BA.2 notamment, donne des trachéites très particulières, elles ne montrent pas du tout ces fameuses membranes blanches…
T.C.-F. : Une autre inquiétude avait été que le SARS-CoV-2 ne fasse « alliance » avec l’autre fléau viral de l’hiver : la grippe… Absente des médias, la grippe s’est-elle installée en France ?
K.L. : Il y a clairement une vraie épidémie de grippe, qui a commencé vers mi-février – ce qui est assez tardif : en général, on a les premiers cas en décembre avec un pic en février-mars. Là, l’épidémie est toujours en augmentation, on n’est pas encore au pic.
On était à 214 consultations pour infections respiratoires aiguës pour 100 000 habitants sur la semaine du 14 au 20 mars, on est maintenant à 313. De façon plus général, l’augmentation de leur taux d’incidence est liée en particulier à la circulation des virus grippaux, les autres virus respiratoires circulant pour l’heure faiblement… hors SARS-CoV-2, bien sûr.
Nous avons beaucoup de cas, et notamment de grippes graves (pneumonie grippale, avec une surinfection bactérienne). Je suis d’ailleurs très surprise du nombre de cas avec hospitalisation : ça fait longtemps que l’on n’avait pas atteint de tels niveaux.
Est-ce que cela vient du fait que les gens se sont peu vaccinés ? Ou que la grippe échappe cette année à la vaccination ? Ça semble plutôt être la seconde raison.
Il est en effet possible que la composition du vaccin mis sur le marché en octobre dernier ne soit pas optimale. On s’y attendait car l’an dernier il y a eu peu de cas… Or ce type de vaccins est mis au point d’une année sur l’autre en se référant aux souches en circulation précédemment. Les laboratoires n’ont donc pas forcément eu accès à des données suffisantes.
Quant aux risques d’une co-infection grippe-Covid, franchement je pense que c’est un phénomène à la marge. Tous les virus respiratoires peuvent coexister chez une même personne – un rhino et un entérovirus, etc. Alors pourquoi pas ces deux-là aussi, mais ils ne vont pas avoir ensemble une synergie particulière et créer des symptômes inédits !
On a bien vu que quand il y a deux variants du SARS-CoV-2 présents en même temps, par exemple Omicron et Delta, le résultat n’a pas pris le dessus sur Omicron BA.2.
Nous sommes maintenant bien équipés à l’hôpital et nous disposons de machines PCR dites multiplex qui nous permettent, en moins de 24 heures, de déterminer si un patient qui vient d’entrer est atteint du Covid, de la grippe ou d’un autre virus s’en prenant aux voies respiratoires, et de réagir en conséquence.
T.C.-F. : Après ces deux années difficiles, comment voyez-vous les semaines à venir malgré la remontée des cas ?
K.L. : En gardant en tête l’humilité nécessaire évoquée plutôt, nous sommes assez confiants sur le fait que le Covid va avoir un faible impact sur le système hospitalier.
Il y a des signes assez parlant : le Covid y est entré dans une espèce de… routine. Nous n’avons plus désormais de secteur qui lui soit spécifiquement dédié. Quand un patient arrive à l’hôpital pour une infection, il va en maladie infectieuse bien sûr. Mais s’il arrive pour une hémorragie digestive et qu’on le découvre positif après un test, il restera pris en charge en gastro-entérologie. Comme « avant ».
On est en train de sortir de l’exceptionnalité Covid, et ça c’est extrêmement important. On voit que l’on se dirige vers le « vivre avec », que l’on passe un nouveau cap. Nous ne sommes enfin plus dans la catastrophe perpétuelle : on voit la porte de sortie.
Cette porte, ce n’est pas la disparition du Covid, c’est vivre avec lui, avec les outils pour faire face. Maîtriser la situation plutôt qu’être submergé par elle.
Karine Lacombe, Infectiologue, cheffe de service des maladies infectieuses de l'Hôpital Saint-Antoine, Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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