HÉRAULT - Eaux littorales : la contamination par les pesticides favorise-t-elle les bactéries résistantes aux antibiotiques ?

HÉRAULT - Eaux littorales : la contamination par les pesticides favorise-t-elle les bactéries résistantes aux antibiotiques ?

HÉRAULT - Eaux littorales : la contamination par les pesticides favorise-t-elle les bactéries résistantes aux antibiotiques ?

Par , le 20 Mai 2022

Eaux littorales : la contamination par les pesticides favorise-t-elle les bactéries résistantes aux antibiotiques ?

Table ostréicole, étang de Thau, Occitanie. Caroline Montagnani, Fourni par l'auteur

Dominique Munaron, Ifremer; Caroline Montagnani, Ifremer et Delphine Destoumieux-Garzon, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Quels impacts les produits phytopharmaceutiques ont-ils sur l’environnement et la biodiversité ? Pour tenter de répondre à cette question, un groupement d’experts menés par l’INRAE et l’Ifremer vient de publier un rapport dressant le bilan de l’ensemble des effets directs et indirects des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques en France.

Basé sur 4000 rapports et articles parus dans la littérature scientifique au cours des 20 dernières années, ce bilan synthétise notamment les impacts de ces substances sur la biodiversité et révèle un manque de connaissance criant dès qu’il s’agit de biodiversité marine.

Au-delà des impacts confirmés par l’expertise collective sur la biodiversité, il en est un autre assez inattendu et encore mal compris : certains pesticides favorisent l’émergence de bactéries résistantes aux antibiotiques. Or, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère la résistance aux antibiotiques comme « l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement ».

Microbiotes et résistance aux antibiotiques

Les écosystèmes sont peuplés d’une multitude de micro-organismes, les « microbiotes », parmi lesquels on retrouve les bactéries. Adaptées à différents types de conditions environnementales, les bactéries sont constituées de nombreuses espèces qui sont présentes partout, associées aux organismes vivants (dont l’humain). Généralement, les bactéries participent à la bonne santé de leur(s) hôte(s), mais dans certains cas, elles peuvent causer des maladies.

À cause de la menace qu’elle fait peser sur la médecine moderne, la prolifération dans l’environnement de bactéries résistantes aux antibiotiques est un phénomène de plus en plus inquiétant.

L’usage abusif et/ou mal approprié des antibiotiques (agissant sur la sélection et l’échange de gènes de résistance avec les microbiotes environnementaux) est un déterminant majeur de la propagation des bactéries résistantes aux antibiotiques.

Les pesticides, sélectionneurs de bactéries résistantes aux antibiotiques

Cette prolifération de bactéries résistantes aux antibiotiques dans l’environnement a d’abord été mise en évidence au niveau de rejets de stations d’épuration, ou dans des eaux souterraines alimentées par des infiltrations d’eaux usées utilisées pour l’irrigation des cultures, ou encore sur des sols agricoles traités avec du lisier de porcs. Elle a également été documentée au niveau des zones aquacoles littorales.

Or, plusieurs études récentes ont révélé le rôle des pesticides dans le développement d’une résistance aux antibiotiques chez certaines communautés bactériennes naturelles de sols agricoles.

Le cuivre, en particulier, utilisé comme fongicide pour protéger les cultures (notamment de vigne) ou comme biocide antisalissure sur les coques de bateaux, s’avère être un puissant sélectionneur de bactéries antibio-résistantes. Il élimine certaines familles peu résistantes aux antibiotiques, au bénéfice d’autres familles plus tolérantes qui peuvent alors proliférer.

En outre, plusieurs herbicides testés dans leur formulation commerciale, parmi lesquels on retrouve le glyphosate, activent des mécanismes cellulaires de résistance aux antibiotiques chez des bactéries. Ces herbicides rendent alors les bactéries plus tolérantes aux antibiotiques qu’elles ne l’étaient avant l’exposition, et ce même à des doses inférieures aux doses recommandées d’application.

Qu’en est-il dans les milieux marins ?

Un autre résultat de l’ESCo est que le milieu marin littoral français est contaminé de manière ubiquiste par les pesticides. Ces substances sont ainsi présentes partout, sous forme de mélanges, généralement à faibles doses mais pouvant malgré tout constituer un risque pour les espèces vivantes.

En revanche, on sait encore peu de choses sur la présence d’antibiotiques dans les eaux littorales, et très peu également sur la présence de bactéries antibiorésistantes.

Pourtant, parmi les bactéries testées en laboratoire, certaines bactéries pathogènes pour les coquillages (bactéries Vibrio sp.) révèlent une tolérance élevée aux antibiotiques.

Échantillonage d’huîtres après imprégnation dans l’environnement (étang de Thau, Occitanie). Caroline Montagnani, Fourni par l'auteur

On sait aujourd’hui que la richesse du microbiote interne des huîtres est un facteur influençant leur santé, comme chez l’humain.

Or, si la présence de pesticides et d’antibiotiques dans les eaux littorales modifie les communautés microbiennes de l’environnement, est-il possible que cela entraîne aussi un impact négatif sur la diversité du microbiote des coquillages ?

Le cas des écosystèmes conchylicoles

Ainsi, les écosystèmes marins conchylicoles pourraient être des sites particulièrement sensibles à la problématique de l’antibiorésistance à plusieurs niveaux.

D’abord parce que si certaines bactéries pathogènes et résistantes aux antibiotiques prolifèrent dans les écosystèmes marins, elles pourraient altérer la santé des espèces qui les habitent, et dans le cas des espèces d’élevage, conduire à des impasses thérapeutiques.

Ensuite, parce que les bactéries résistantes aux antibiotiques ainsi sélectionnées représentent également un risque pour la santé humaine. Pouvant être transmises dans la chaîne alimentaire, elles pourraient contaminer l’humain par l’ingestion d’aliments contaminés ou par contact direct avec les animaux.

Ceci est d’autant plus vrai pour la consommation de coquillages crus, qui représente une source connue d’infections d’origine alimentaire, et est donc susceptible de véhiculer des gènes de résistances aux antibiotiques dans les microbiotes humains.

C’est pourquoi mieux comprendre le lien entre antibiorésistance et pollution chimique dans les écosystèmes marins conchylicoles est fondamental pour anticiper de futures crises écologiques et sanitaires.

C’est précisément l’objet des récents projets AntibioThau et SPARE-SEA auxquels nous participons.

Pour cela, des expérimentations mêlant analyses chimiques, microbiologiques, génétiques, et écologiques sont actuellement menées par les laboratoires de l’Ifremer et de ses organismes partenaires en France (CNRS, Univ. Montpellier, UPVD, UBO) et à l’étranger (AWI, CNR, IRTA, UNIGE) sur quatre sites conchylicoles européens, dont deux en France (rade de Brest et étang de Thau), un en Allemagne et un en Espagne.

One Health

Cette rétroaction possible de la biodiversité microbienne sur l’humain à la suite de la contamination des zones côtières par des pesticides et antibiotiques illustre parfaitement le concept « One Health » (« Une seule santé »), c’est-à-dire l’imbrication complexe et forte qui existe entre la santé de l’environnement, celle des organismes vivants (dont les microbiotes), et celle de l’être humain.

Ainsi, limiter les usages de produits chimiques est essentiel pour préserver la biodiversité au sens large, mais également nous préserver nous-mêmes.


Cet article a également été co-écrit avec Julie Danet (Ifremer) et Wilfried Sanchez (Ifremer).The Conversation

Dominique Munaron, Chercheur en Océanologie Chimique et Environnement, Ifremer; Caroline Montagnani, Chercheuse Interactions Hôtes Pathogènes Environnements, Ifremer et Delphine Destoumieux-Garzon, Directrice de Recherche CNRS, Interactions Hôtes-Pathogènes-Environnements, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

 

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