FRANCE - Quel gouvernement après les élections législatives ?

FRANCE - Quel gouvernement après les élections législatives ?

FRANCE - Quel gouvernement après les élections législatives ?

Par Par Simon Hecht, Magistrat administratif au tribunal administratif de Toulouse – enseignant vacataire à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Club des juristes, premier think-tank juridique français, le 24 Juin 2022

Quel gouvernement après les élections législatives ?

Par Simon Hecht, Magistrat administratif au tribunal administratif de Toulouse – enseignant vacataire à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Alors que la coalition présidentielle a obtenu environ 246 sièges de députés sur 577, l’absence de majorité absolue aura un fort impact sur la constitution du nouveau gouvernement.

Emmanuel Macron est-il tenu de former un nouveau gouvernement et les députés disposent-ils de moyens pour l’y contraindre ?

La Constitution prévoit que « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. » (art. 8). Le Premier ministre est ainsi désigné par un décret signé par le seul Président (art. 19). Juridiquement, le Président n’est tenu par aucune règle dans cette désignation, que ce soit pour le choix la personne nommée (mandat préalable, âge) ou pour le délai de nomination. Dans un second temps, le Président nomme les autres membres du Gouvernement « sur la proposition du Premier ministre » (art. 8). Si aucune règle de droit ne le prévoit, l’usage a consacré la pratique de la démission du gouvernement après un scrutin présidentiel ou législatif, afin de nommer un nouvel exécutif en phase avec la volonté exprimée par les électeurs.

En effet, ce pouvoir de désignation du Premier ministre par le Président est contrebalancé par la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale, prévue par trois procédures aux termes desquelles les députés peuvent voter la démission d’un gouvernement.

D’abord, la Constitution dispose que « Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale. » (art. 49, al. 1). Cette allocution de politique générale est un discours où le Premier ministre expose à l’Assemblée nationale les grandes orientations de son programme de gouvernement, les principales réformes et mesures qu’il veut mettre en place. Cette procédure n’est pas une obligation, mais une faculté du Premier ministre, par laquelle il sollicite la confiance de l’Assemblée nationale par un vote à l’issue de la déclaration.

Dans les faits, tous les Premiers ministres de la Ve République ont prononcé au moins une déclaration de politique générale. Toutefois, les remaniements ministériels n’ont pas systématiquement donné lieu à une telle allocution : ainsi, Georges Pompidou n’en a prononcé qu’une seule, alors qu’il a dirigé quatre gouvernements, dont deux remaniés après des élections législatives (1962 et 1967).

La déclaration de politique générale est obligatoirement suivie d’un vote par lequel l’Assemblée accorde sa confiance au Gouvernement. Il s’agit d’un vote à la majorité simple des suffrages exprimés. ,Jusqu’à présent, cette déclaration a toujours été approuvée.

Ensuite, l’Assemblée nationale peut voter une motion de censure pour mettre en cause la responsabilité du Gouvernement (art. 49, al. 2). Pour aboutir à la démission du Gouvernement, cette motion doit être signée par au moins 1/10e des députés (58) puis votée par la majorité de ses membres (289), majorité dont ne dispose aujourd’hui pas la coalition « Ensemble ! » à l’Assemblée nationale. Une seule motion de censure a abouti sous la Ve République, contre le gouvernement de Georges Pompidou le 5 octobre 1962 après l’annonce par le président Charles de Gaulle d’un référendum pour organiser l’élection présidentielle au suffrage universel direct.

Enfin, le Premier ministre peut choisir d’engager la responsabilité de son Gouvernement sur un projet de loi, qui est alors adopté sans discussion, sauf si une motion de censure est votée dans les 24 heures. Il s’agit du fameux « 49.3 » (art. 49, al. 3), désormais limité à un projet de loi par session parlementaire, outre les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale.

Comment le Président de la République et le futur gouvernement pourront-ils gouverner alors que la coalition « Ensemble ! » ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée ?

Un vote désapprouvant la déclaration de politique générale ou entérinant une motion de censure entraîne automatiquement la démission du Gouvernement (art. 50). L’existence de ces procédures contraint le Président de la République à nommer un Gouvernement en phase avec la majorité politique de l’Assemblée nationale, ce qui a entraîné les périodes de cohabitation de 1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002.

Un Gouvernement qui ne serait soutenu que par la majorité relative des députés de « Ensemble ! » serait doublement exposé : d’une part lors du discours de politique générale, qui ne constitue pas une obligation juridique mais qui reste un moment fort politique, a fortiori en début de quinquennat ; d’autre part à une motion de censure, véritable épée de Damoclès, qui doit toutefois être relativisée dans la mesure où elle suppose un vote commun de toutes les oppositions.

Pour éviter cela, le Président de la République pourrait choisir d’élargir la majorité parlementaire et le gouvernement, vers la droite, le centre-gauche, voire les deux. Cet élargissement pourrait aussi avoir lieu ponctuellement et varier selon les textes de loi examinés.

Deux présidents ont composé avec une majorité relative à l’Assemblée : Charles de Gaulle en 1958 et François Mitterrand en 1988. Ainsi, entre 1988 et 1991, Michel Rocard, Premier ministre de François Mitterrand, avait tissé des alliances variables, avec les communistes ou les centristes selon les textes de loi. Il avait aussi fréquemment recouru à la procédure du « 49.3 », sans limites d’utilisation avant la révision constitutionnelle de 2008.

Pour tenter d’obtenir la majorité absolue à l’Assemblée nationale, le Président de la République peut-il dissoudre l’Assemblée nationale qui vient d’être élue ?

Une autre hypothèse pour éviter d’exposer un Gouvernement qui ne serait soutenu que par une majorité relative des députés serait qu’Emmanuel Macron choisisse de dissoudre l’Assemblée afin d’obtenir une majorité absolue de députés à l’issue d’un nouveau scrutin.

Juridiquement, le Président peut dissoudre l’Assemblée par décret, après une simple formalité : la consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées. L’article 12 de la Constitution encadre seulement la date des élections qui suivent la dissolution -entre 20 et 40 jours plus tard- et précise que : « Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections. » Cet article ne prévoit donc de délai qu’après une première dissolution, même si certains juristes débattent de son application après une élection générale.

Dans la pratique, l’Assemblée a été dissoute à 5 reprises sous la Ve République. En 1962, la 1ère dissolution, consécutive au conflit entre Charles de Gaulle et les députés au sujet du scrutin présidentiel (cf. supra), lui permet d’élargir sa majorité. En 1968, la dissolution fait suite à la crise de mai et confirme la majorité gaulliste. En 1981 et en 1988, la dissolution voit l’élection d’une majorité de gauche à l’Assemblée après celle de François Mitterrand à la présidence. Enfin, en 1997, Jacques Chirac dissout l’Assemblée dans la perspective stratégique de limiter le risque de cohabitation, mais échoue.

Aujourd’hui, si une dissolution ne semble juridiquement pas impossible, elle serait toutefois peu légitime, puisque contrevenant immédiatement au vote des électeurs. Elle serait aussi risquée car le groupe parlementaire favorable au Président pourrait en sortir diminué.

Illustration 

Par Simon Hecht, Magistrat administratif au tribunal administratif de Toulouse – enseignant vacataire à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Club des juristes, premier think-tank juridique français (24-06-22)

 

 

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