Le Barcares - Le Lydia, navire-amiral du Barcarès emblème de notre littoral.
Par Pierre Nabonne., le 08 Février 2024
Le Lydia, navire-amiral du Barcarès emblème de notre littoral.
Une petite balade vers les rivages méditerranéens de notre Sud de France nous a permis de redécouvrir le Lydia, ce paquebot ensablé pour toujours sur la plage de la station balnéaire. Et l’envie d’en savoir davantage est venue rapidement…
Au matin du dimanche 11 juin 1967, un navire de couleur blanche dont la longueur sera ensuite mesurée à 91 mètres et la largeur à 13 était signalé en approche de la côte catalane, tracté par des remorqueurs de dimensions plus modestes. « Sur la plage on a aménagé un port creusé pour la circonstance, un bassin auquel on accède par un chenal de 600 mètres de longueur et 7 de profondeur. Six millions de m3 de sable ont été déplacés. Le vent est violent, la tramontane s’en donne à cœur-joie et le paquebot, dénommé Lydia, a tendance à dériver. Mais les remorqueurs sur l’eau et les bulldozers qui le tirent de la plage réussissent à le maintenir dans le chenal. L’opération dure huit heures. Les bulldozers referment le «port» derrière le paquebot. Puis on comble le bassin et l’eau s’en va d’elle-même. Ça y est, le Lydia est ensablé, trois mètres au-dessus du niveau de la mer », conte Hélène Legrais aux auditeurs de France Bleu Roussillon. Plusieurs semaines de labeur seront encore nécessaires pour le fixer pour toujours sur la plage du Barcarès et des centaines de curieux viennent chaque jour constater l’avancée des travaux. Pierre Dumayet ne va pas tarder à installer ses caméras pour l’un des reportages de « Cinq Colonnes à la Une », sa célèbre émission sur la seule chaîne de télévision alors en fonction. Dès l’ouverture au public 12.000 visiteurs se presseront pour monter à bord du Lydia. Lorsque se terminera l’année 1967, ils auront été près de 300.000 à l’avoir découvert.
Les livres de bord dévoileront qu’il a été mis en chantier au Danemark en 1930-1931 pour honorer la commande d’une compagnie australienne afin de naviguer dans les mers lointaines sous le nom de Moonta, une ville du sud de l’Australie. Jaugeant 2700 tonnes, équipé d’un moteur diesel lui permettant de naviguer à une vitesse de 13 nœuds (25 kilomètres/heure environ), il est racheté en 1955 par une compagnie grecque et rebaptisé Lydia, du nom d’une province de la Grèce antique au temps de sa splendeur. Il assurera les liaisons entre Marseille et Beyrouth via Gènes, Naples, Alexandrie et Limassol. Après plusieurs modifications il verra sa capacité d’accueil passer de 150 à 280 passagers, pouvant même aller jusqu’à un maximum de 460 occupants en ajoutant les 180 supplémentaires qui s’installeront sur le pont avant du navire réaménagé pour de belles croisières cheveux aux vents. L’usure du temps faisant tout de même son œuvre, il en terminera de ses périples après trente-cinq ans de bons et loyaux services. Après avoir été délesté de ses moteurs à Marseille, la Société d’Economie mixte d’équipement des Pyrénées-Orientales présidée par le sénateur Gaston Pams en fera l’acquisition en 1966. Il ne va pas tarder à devenir le premier pôle d’attraction de la station naissante de Port-Barcarès, destinée à un important développement par le Plan d’ Aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon au même titre que celles mises en chantier sur le littoral du golfe du Lion dans les départements du Gard, de l’Hérault, de l’Aude et des Pyrénées-Orientales à Port-Camargue, à la Grande-Motte, au Cap d’Agde, à Gruissan, Port-Leucate et Saint-Cyprien Plage.
Le général de Gaulle, président de la République de janvier 1959 au 28 avril 1969 et son Premier ministre Georges Pompidou avaient vu juste en créant en 1963 la Mission Racine, du nom de son responsable désigné, haut fonctionnaire d’Etat co-fondateur de l’Ecole Nationale d’Administration. Avant même l’instauration des deux semaines de congés payés en 1936, Carnon, le Grau-du-Roi, Palavas, le Grau d’Agde, Valras-Plage, Gruissan et ses pittoresques chalets sur pilotis qui seront plus tard immortalisés par le film de Jean-Jacques Beineix « 37°2 le matin », Canet-Plage, Argelès, Banyuls, Collioure et autres lieux de villégiature accueillaient un tourisme d’origine essentiellement régionale. La France de l’après-guerre aura ensuite bien du mal à panser les plaies occasionnées par le conflit mondial et il lui faudra attendre le début des années 50 pour enregistrer une croissance économique notable qui ira de pair avec l’amélioration du niveau de vie. En 1956, la durée légale des congés payés passe à trois semaines, à quatre en 1969 puis à cinq en 1982. Nos concitoyens sont de plus en plus désireux de partir en vacances et les statistiques nous apprennent qu’ils auront été 350.000 à fréquenter notre littoral méditerranéen en 1962. Onze ans plus tard ils seront 1.400.000, avant de franchir la barre des 8 millions dès 1993. Pourtant, près de 10 millions de Français passaient la frontière pour goûter aux charmes d’une Costa Brava aux prix défiant toute concurrence. Le col du Perthus et ses 20 kilomètres de bouchons ne rebutaient pas les vacanciers, même s’il leur fallait patienter durant des heures et des heures dans les interminables files de voitures et caravanes de toutes nationalités avant d’apercevoir enfin le poste-frontière de la Junquera. Mais ensuite, l’Eldorado leur tendait les bras !
Toutes ces devises envolées chez le voisin représentaient un véritable crève-cœur pour nos responsables, dirigeants et financiers. L’aménagement du littoral méditerranéen, présenté par les médias comme appelé à devenir une « nouvelle Floride française » devenait une véritable cause d’intérêt national. L’hebdomadaire Paris-Match assurait dès le 1° août 1964 que « En Languedoc et en Roussillon une révolution se prépare. Le long de la Méditerranée existent les plus belles plages de France mais elles étaient à l’abandon. Désormais tout va changer. Supervisée par l’Etat, une gigantesque entreprise commence ; en dix ans elle va les transformer en stations futuristes ». Quelques semaines plus tard un nouvel article annonçait que « Dans dix ans le Barcarès pourra accueillir 90.000 résidents. Des canaux sillonneront l’île entre mer et étangs et ils permettront aux maisons d’avoir presque toutes une façade sur l’eau et un embarcadère particulier». De fait, une vaste entreprise d’assainissement et de démoustication s’emploie déjà à chasser les hôtes indésirables des lieux alors que ports de plaisance, infrastructures routières d’une ampleur inconnue jusque là, ensembles immobiliers d’importance sortiront du sable comme par magie, faisant entrer la France de plein pied dans la société de consommation et la civilisation des loisirs.
Quand le Cap d’Agde naît au pied d’un ancien volcan entre vignes et marais à la fin des années 60, « le programme initial prévoyait 60.000 résidents, sans compter les villages de vacances et le centre naturiste déjà existant qui avait été crée à partir d’un petit camping en 1954 », note Thierry Lochard dans ses Etudes héraultaises. A 130 kilomètres plus au Sud dans les Pyrénées-Orientales et à titre d’exemple, Saint-Cyprien verra sa population passer de 1854 habitants à l’année en 1962 à un peu plus de 11.000 au recensement de 2020 tout en devenant le 3° port de plaisance français. Le Barcarès du début du XX° siècle n’était encore qu’un petit village de pêcheurs dont le port possédait des installations où étaient fabriquées les typiques barques catalanes, Le Blog de Fabricio Cardenas nous apprend que le hameau « comptait seulement 600 habitants en 1906. Mais les dimanches et jours de fête Rivesaltes, Saint-Hippolyte, Saint-Laurent-de-la Salanque, Claira, Torreilles fournissent un nombre considérable de baigneurs qui vont ensuite se sécher et se changer dans les véritables villages de tentes qui apparaissent sur la plage aux beaux jours ».
Le territoire du Barcarès était alors rattaché à celui de Saint-Laurent-de-la Salanque distant de 4 kilomètres, dont l’une des particularités allait être la base aéronavale installée en bordure de l’étang de Salses où les hydravions conçus par les entreprises toulousaines Latécoère étaient assemblés avant d’effectuer des essais en conditions réelles. En service dès 1927, elle verra Jean Mermoz y préparer son brevet de pilote d’hydravions en mars 1930. Antoine de Saint-Exupéry viendra lui aussi s’y entraîner quatre ans plus tard. Mise en sommeil en 1937, la base retrouvera un semblant d’activité en mai-juin 1940 au moment de l’invasion allemande, nos pilotes qui refusaient la capitulation y posant leurs avions pour ravitailler avant d’effectuer le grand saut vers l’Afrique du nord. Occupée par les Allemands à partir de novembre 1942, elle sera bombardée par les forces alliées le 13 août 1944, deux jours avant le débarquement en Provence. Il n’en reste de nos jours qu’un ponton désaffecté, vestige d’une époque révolue…
Entre-temps le Barcarès avait obtenu son autonomie administrative le 22 mars 1929 pour devenir à son tour une commune à part entière, C’est toute une station qui va se construire autour du Lydia selon les plans de l’architecte d’origine grecque Georges Candilis. Résidences de vacances, bars, restaurants, commerces, boutiques, campings sortent de terre pour s’étendre jusqu’aux premières maisons de Saint-Laurent-de la Salanque. Le 9 août 1969 Johnny Hallyday, 26 ans à l’époque, se déchaîne au pied du paquebot des sables pour le plus grand bonheur de 15.000 fans enthousiastes et le concert est même retransmis en direct par la station Europe 1. Parmi la quinzaine de titres qu’interprète l’idole une nouveauté appelée à devenir culte, « Que je t’aime » qu’il a enregistré trois mois auparavant, déclenche une véritable hystérie collective.
Durant les années 70-80 le navire devenu pôle de loisirs devient un lieu de rendez-vous incontournable pour la jet-set parisienne. Célébrités, curieux et estivants se pressent dans ses bars et restaurants avant de rejoindre la discothèque ou de s’approcher des tables de jeux du casino entre deux brasses dans la piscine mise à leur disposition. Le premier choc pétrolier de 1973 signera la fin des Trente Glorieuses alors que de l’autre côté de la frontière la mort du général Franco en novembre 1975 autorisera la réouverture des casinos, entraînant ainsi une désaffection notable de la clientèle espagnole. Le groupe japonais qui s’était rendu acquéreur du Lydia reverra à la baisse ses projets de grandeur avant de passer la main à d’autres exploitants. Ils se succéderont sans obtenir le succès escompté, avant de mettre la clé sous la porte en 2008.
Les années ont passé, le Lydia a résisté aux tempêtes mais son âge d’or est derrière lui. Racheté par la mairie du Barcarès en 2011, son intérieur est devenu moins festif. D’ importants travaux de restauration ont été engagés avec la collaboration de l’Association des Amis du Moonta-Lydia. Le paquebot a retrouvé de la prestance avec sa couleur noire et blanche d’origine, la timonerie a été entièrement rénovée, les sols, boiseries, escaliers, coursives remis en état. Bon an mal an 600 à 700.000 visiteurs viennent encore l’admirer, défiant le temps face au Canigou, la montagne mythique des Catalans. Vénérable vestige de l’expansion touristique qu’a connu notre littoral dans la seconde moitié du siècle dernier, il reste le plus vieux paquebot témoin des années 30, dit-on. Et ouvert aux visites puisqu’il abrite maintenant un musée et des expositions permanentes ou itinérantes alors que de nombreux panneaux explicatifs dévoilent son histoire. Fièrement campé sur le sable de la plage du Barcarès, le Lydia restera l’emblème de la station balnéaire née autour de son vaisseau-amiral reconnu comme un authentique symbole de l’aménagement de notre littoral méditerranéen.
Pierre Nabonne.
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