Mazamet - Lucien Mias a fermé son cabinet : Merci pour tout, Docteur !
Par Pierre Nabonne., le 21 Mai 2024
Lucien Mias a fermé son cabinet : Merci pour tout, Docteur !
Quelques semaines après André Boniface et après son camarade de club à Mazamet Jacques Lepatey, international lui aussi, Lucien Mias nous a quitté dans la nuit du 12 au 13 mai dernier.
Originaire de Lozère, il était né à Saint-Germain-de Calberte en 1930. Fils de gendarme, il suit sa formation d’instituteur à l’Ecole Normale de Carcassonne et pratique l’ovale à Narbonne, en juniors : « L’un de mes meilleurs souvenirs, c’est quand on allait se baigner dans la rivière après les matches. Le rugby nous permettait de nous retrouver, pour nous ce n’était encore qu’un jeu ». Les choses vont rapidement devenir plus sérieuses quand Lucien Mias enfile le maillot bleu et noir du Sporting Club Mazamétain. Sa taille, 1,87m, ses 105 kilos et son volume de jeu le propulsent en équipe de France dès 1951 où il débute en seconde ligne contre l’Ecosse pour une victoire 14-12 dont un essai du jeunot de 21 ans à la réception d’un recentrage de son ailier !. 17 sélections se succéderont, y compris pour la première victoire française contre les All Blacks de Nouvelle-Zélande en février 1954, 3-0 sur un essai de Jean Prat.
Alors instituteur, Lucien Mias décide de ‟plaquer” l’Education nationale pour entamer des études en Médecine. « Une véritable vocation, né en rendant visite à ma mère à l’hôpital. C’était sinistre et je me suis dit qu’il faudrait mettre plus de vie dans ces endroits, mieux s’occuper des patients aussi», expliquera-t-il plus tard. Le président de Mazamet me logeait dans un petit appartement à Toulouse et j’allais à la Fac en vélo. Le mercredi je jouais en universitaires, et le dimanche avec mon club », comme le relate Jérôme Prévôt dans Rugbyrama.
Ainsi va sa vie, loin de l’équipe de France. Laquelle accuse le coup après la retraite internationale de Jean Prat, à tel point qu’elle collectionne les défaites jusqu’à finir dernière de l’édition 1957 du Tournoi des Cinq Nations après quatre douloureux revers. La saison suivante ne débute pas mieux et les sphères dirigeantes de notre rugby décident alors de faire confiance à la ligne de trois-quarts lourdaise dans sa totalité et de rappeler Lucien Mias en seconde ligne. C’est le bon choix : « Je suis revenu dans une équipe en proie au doute mais j’avais en tête quelques idées à faire admettre par le collectif pour les mettre en pratique. Cabochard comme j’étais, je m’y suis employé avec l’adhésion de tout le groupe y compris Michel Celaya, capitaine en titre ». Les résultats vont lui donner raison. Après une victoire convaincante sur l’Australie en tournée dans notre hémisphère, ce XV de France remodelé se permet d’aller battre les Gallois à Cardiff 16-6 puis les Irlandais à Colombes, 11-6 : de bon augure avant la tournée prévue pour l’été en Afrique du Sud !
En attendant, le championnat de France en arrive à sa phase à élimination directe. Lourdais et Mazamétains se retrouvent en finale au Stadium de Toulouse. Deux mois auparavant les Tarnais avaient éliminé les Pyrénéens en demi-finale du challenge Du Manoir mais un homme averti en vaut deux et le bouclier de Brennus repartira en Bigorre au soir du 18 mai 1958. Lourdes, vainqueur sur le score de 25 à 8, est titré pour la troisième fois consécutive, un exploit inédit depuis 1945 et Mazamet se consolera en remportant le Du Manoir, une compétition qui jouit alors d’un réel prestige.
Pour boucler la saison, reste à mettre le cap sur l’Afrique du Sud, une première pour notre rugby où 10 matchs attendent les nôtres au pays des Springboks invaincus chez eux depuis 1896. Nos petits coqs ne pourront pas compter sur plusieurs cadres de l’équipe, indisponibles à une époque où ils ont tous une activité salariée à côté du rugby alors que les plus jeunes, militaires du contingent, se préparent à partir en Algérie où les combats font rage. De plus, nos joueurs vont laisser des plumes dans les premiers affrontements avec les provinces sud-africaines où ils déploreront de nombreux blessés. Se resserrant autour de Lucien Mias plus charismatique que jamais, ils font échec à leurs hôtes lors du premier test-match, 3-3 sur un drop sublime de Pierre Danos avant de l’emporter au second par 9 à 5 le 16 août à Johannesburg, un but et un drop de Pierre Lacaze qui a dû subir une piqûre de novocaïne pour pouvoir tenir sa place à l’arrière et un autre drop du centre lourdais Roger Martine. L’exploit fait sensation, nos champions seront accueillis en héros à leur retour. « Quand on ne travaille pas et qu’on peut s’entraîner tous les jours c’est facile », assurera l’ineffable Pépé du Quercy Alfred Roques, sacré international à l’âge canonique de 33 ans ! Le XV de France poursuivra sur sa lancée victorieuse durant le Tournoi 1959 qu’il finira premier sans partage pour la première fois de son histoire. Lucien Mias termine sa carrière internationale à l’âge de 29 ans et demi. Porté en triomphe par ses camarades, les cheveux ébouriffés s’échappant d’un casque d’un autre âge, nous avons encore en mémoire cette photo surgie de notre enfance publiée par le Miroir des Sports de l’époque. Lucien Rogé, l’ailier biterrois dernier survivant de cette époque héroïque présent à ses obsèques mercredi dernier, a tenu à saluer «l’exceptionnel meneur d’hommes, le leader naturel qui a su nous fédérer pour qu’on tire tous dans le même sens».
Mais le rugby ne dure qu’un temps et Lucien Mias ouvre son cabinet de médecin généraliste à Mazamet. Parallèlement, il ne cesse de parfaire et d’approfondir ses connaissances en gériatrie et gérontologie et il prend la direction du Service Gériatrie à l’hôpital de la ville en 1987, une tâche qu’il trouve particulièrement exaltante. A la tête de son équipe médicale il n’aura de cesse de se dévouer corps et âme pour améliorer le bien-être des personnes âgées. De sa retraite très active à Aussillon au pied de la Montagne noire, il consacre ensuite ses dernières années à partager ses connaissances via le site internet Papidoc qui dévoile ses ressources aux soignants, aux personnes âgées et à leurs proches.
En véritable humaniste, il s’était confié ainsi : « J’aime ça, aller vers les autres, initier des projets. Ce qu’on donne fleurit. Tu ne vieillis que lorsque tu deviens chômeur de projets ».
Adieu champion, Merci Docteur !
Pierre Nabonne.
A LIRE AUSSI