Monde - Duel de généraux au Nord-Soudan ! Editorial de Jean Claude Borel-Garin
Par Jean-Claude BOREL-GARIN - Pour OCCITANIE TRIBUNE et EUROTRIBUNE, le 04 Janvier 2025
Duel de généraux au Nord-Soudan
Les raisons qui m'ont conduit à traiter ce sujet :
Le Soudan est historiquement l'exemple type d'un pays façonné par les occidentaux lors de la conférence de Berlin en 1885 qui ne se sont pas préoccupés de la difficulté à faire vivre ensemble des musulmans, des chrétiens et des animistes. L'épisode de Fachoda, la rencontre virile entre Stanley et Marchand se déroule au Soudan qui a longtemps été placé sous le condominium de l'Angleterre et de l’Égypte.
C'est un pays d’extrême pauvreté où la famine causée par la sécheresse est endémique, martyrisé par ses dirigeants depuis son indépendance, dont les ressources naturelles, pétrole et or, suscitent la convoitise des pays industriels et le place au centre de la guerre d'influence que se mènent les occidentaux et la Russie.
Une situation géographique stratégique le long de la mer rouge qui intéresse la Russie.
Tous ces éléments sont facteurs d'instabilité. Depuis son indépendance en 1956, il y a 67 ans, le Soudan n'a connu que 13 ans de démocratie mais a subi 36 coups d'état dont 6 ont réussi. Le Sud, jusqu'à son indépendance en 2011, a constamment été en rébellion contre la volonté des dirigeants du Nord de lui imposer la charia. Le Darfour, la province de l'Ouest s'est également soulevé à 3 reprises (1987/1989, 1996/1998, 2003.2021 en raison de tensions entre ethnies africaines (fours, zaghawas, messalits) et les arabes. Malgré des accords de paix signés en 2020, le conflit peine à se terminer.
Très récemment, le 15 avril 2023, un conflit fratricide entre 2 généraux pourtant alliés lors du dernier coup d’état a replongé le pays dans la guerre. C'est ce conflit que je vais évoquer ce soir.
Le Soudan est un territoire de 45 millions d'habitants divisé, depuis 2011, en deux états indépendants. Le Nord-Soudan, musulman, 35 millions d'habitants et le sud-Soudan, chrétien et animiste, 10 millions d'habitants. Il est le 2ème pays le plus vaste d'Afrique. (le 1er est la RDC)
Le Nord-Soudan dans lequel se déroule le duel des 2 généraux est frontalier au Nord, de l’Égypte, au Nord Ouest de la Libye, au Nord-Est de l’Érythrée, au Sud du Sud Soudan, à l'Est de l’Éthiopie, à l'Ouest du Tchad et au Sud-Est de la République centrafricaine. Les langues officielles sont l'arabe et l'anglais.
Le Nord-Soudan est membre de l'ONU, de l'OUA et de l'OPEP.
Le pays, essentiellement agricole, produit du coton et de la gomme arabique. Il est également le 3ème producteur d'or d'Afrique.
La production de pétrole comprise entre 60 000 et 170 000 barils/jour (selon les périodes et les sources), provient de puits situés au Sud-Soudan alors que les raffineries sont au Nord-Soudan. Les 2 pays sont néanmoins parvenus à un accord pour se partager les revenus du pétrole.
De 1956 à 1969 un Conseil de Souveraineté dirigeait le Soudan jusqu'au coup d’État du Général Nimeiry qui a gouverné jusqu'en 1985 avant d'être renversé lui-même par un conseil militaire de transition qui a laissé sa place au Général Omar El Béchir de 1989 à 2019. Nimeiry comme El Béchir ont été affaiblis par leur volonté d'imposer la charia au sud Soudan entraînant le soulèvement des populations.
Le 11 avril 2019 des protestations populaires, combinées à une perte de l'appui de l'armée ont conduit au renversement et à l'incarcération du président Béchir. Cet événement marque la fin d'un règne autoritaire de près de 30 ans au cours duquel le pays a été secoué par la guerre du Darfour (une province de l'Ouest), qui dure depuis 2003, ainsi que la sécession du Sud-Soudan en 2011. Omar El Béchir, sous l'influence de son mentor religieux, Hassan El Tourabi, fervent admirateur de l'Iran de Khomeiny, a institué un islam intégriste et établi la charia qui a été à l'origine du soulèvement du Sud. Sous la gouvernance d'El Béchir, le soudan qui a abrité le révolutionnaire Carlos et plus tard Ben Laden, était considéré comme un état terroriste.
Le 25 octobre 2021, 2 ans après le renversement du président El Béchir et l'établissement d'un conseil de la souveraineté, transitoire, les militaires qui siégeaient au sein de cette instance, le général Abdel Fatah Al Burhane qui le présidait et le général Mohamed Hamdan Daglo, ont arrêté le premier ministre ainsi que des membres civils du gouvernement puis ont proclamé l'état d'urgence.
Depuis le 15 avril 2023, la capitale du Nord Soudan, Khartoum, 5 millions d'habitants, est l'épicentre des combats entre les forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général Burhane, chef de la junte militaire et les paramilitaires des forces de soutien rapide (FSR), du général Daglo, son ancien adjoint, désormais décidé à prendre le contrôle du pays par les armes.
Des tirs d'armes à feu et des explosions secouent Khartoum sans discontinuer. Des combats ont également lieu au Darfour. Bien que les forces armées soient les seules à disposer de l'aviation, qui bombarde d'ailleurs Khartoum quotidiennement, le rapport de force entre les deux camps demeure incertain, Daglo ayant, dans un 1er temps, bénéficié de l'effet de surprise de son action. 750 morts et plus de 5000 blessés sont déjà à déplorer. 1 500 000 personnes se sont déplacées dans le pays hors la zone de combat 150 0000 ont passé la frontière. Nombreux sont les réfugiés qui se sont rendus au Sud Soudan dont les 2/3 de la population ne survit qu'avec l'aide du programme alimentaire de l'ONU.
UNE ALLIANCE QUI TOURNE AU CONFLIT ARME
Cette explosion de violence s'explique par l'effondrement de l'alliance militaire formée lors du coup d’État d'octobre 2021 pour renverser le pouvoir civil. Le général Burhane et le général Daglo avaient alors fait front commun pour évincer les civils du pouvoir.
Lors de la révolte populaire qui a renversé Omar El Béchir en 2019, les combattants de Daglo ont été accusés d'avoir dispersé dans le sang les manifestations pro-démocratie, faisant des dizaines de morts selon les chiffres officiels.
Daglo qui a été un rouage de la dictature militaro-islamiste du général El Béchir, se pose désormais en fidèle défenseur d'un pouvoir civil et en adversaire de l'islam politique. Il s'aligne aujourd'hui sur les civils pour dénoncer l'armée et réclamer des « acquis de la révolution » de 2019. Depuis des mois, il utilise les réseaux sociaux pour s'adresser aux plus jeunes – deux tiers des soudanais ont moins de 30 ans.
LES CAUSES DU CONFLIT
Contentieux sur le futur des paramilitaires
Avant le putsch d'octobre 2021, Burhane et Daglo, siégeaient ensemble au sein du Conseil Souverain mis en place après le chute d'Omar El Béchir en 2019 et dont Burhane était le président.
Très vite des tensions sont apparues entre les deux hommes autour du projet d'intégration des forces de soutien rapide à l'armée régulière. Composée d'ex-miliciens de la guerre du Darfour, cette entité demeure indépendante de l'armée, bien qu'elle agisse comme supplétif.
En juin 2021, Daglo s'était prononcé contre l'intégration de ses forces à l'armée. Il craignait que l'intégration de ses troupes, sans une épuration des islamistes de l'armée, ne permette à ces derniers de prendre le pouvoir.
Alors que l'armée tient à imposer ses conditions d'admission et limiter dans le temps l'incorporation des FSR, Daglo réclame une inclusion large et, surtout, sa place au sein de l’État Major.
- Compétition pour l'accaparement des ressources
Ce conflit illustre aussi et surtout, la compétition pour le contrôle des ressources , dans ce pays parmi les plus pauvres du monde (171ème mondial), en proie à une crise économique qui s'aggrave.
Il y a d'un côté l'armée régulière, héritière du régime d'Omar El Béchir, qui bénéficie d'avantages et de l'autre, ces mercenaires originaires du Darfour, souvent d'anciens Janjawid, particulièrement cruels, qui ont réussi à mettre la main sur les ressources importantes du pays telles le trafic d'or et de migrants.
Dans ce contexte il y a un conflit existentiel pour savoir lequel des deux généraux va l'emporter.
L'EGYPTE EN MEDIATEUR
Le conflit armé au Soudan suscite de nombreuses réactions sur la scène internationale, certaines puissances redoutant un embrasement régional.
Le 7 mai, la ligue Arabe s'est réunie en urgence au Caire à l'appel de Égypte et de l'Arabie Saoudite, condamnant les violences et appelant à une solution politique.
Néanmoins, la proximité entre le dirigeant égyptien Sissi et l'armée soudanaise soulève des interrogations quant à sa capacité de mener une médiation.
Les dirigeants égyptiens et soudanais ont des profils assez similaires, ce sont tous les deux des militaires qui ont pris le pouvoir lors d'un coup d'état durant des transitions démocratiques. Cela arrange bien Sissi d'avoir un militaire comme lui à sa frontière Sud d'autant que l'autre belligérant, Daglo, est d'avantage soutenu par les Émirats Arabes Unis.
L'Egypte voit par ailleurs d'un mauvais œil les relations qu'entretient Daglo avec l’Éthiopie, un pays qui menace ses ressources en eau, en construisant un barrage sur le Nil bleu.
Pour mémoire, le confluent du Nil blanc et du Nil bleu se située à Khartoum.
Les États Unis, la Russie, l'Arabie Saoudite, ainsi que les Nations Unies et l'Union Européenne ont appelé à la fin des hostilités.
LES EMIRATS DERRIERE LES FORCES PARAMILITAIRES DE DAGLO
Se présentant comme un soutien du pouvoir civil et un opposant aux islamistes, Daglo a su s'attirer le soutien des Émirats Arabes Unis qu'il a naguère épaulés en envoyant des troupes dans la guerre qui les oppose aux houtistes au Yémen. Un autre élément important, Daglo exporte l'or qu'il exploite vers Abou Dabi.
LA RUSSIE ET WAGNER EN EMBUSCADE
Partenaire historique du Soudan, notamment lors de la guerre du Darfour, la Russie observe avec attention le conflit entre Burhane et Daglo.
Moscou est aussi présent dans le pays via le groupe Wagner, qui exploite l'or du pays avec la complicité du régime., comme l'a démontré un article du Monde. Des informations laissent deviner une proximité entre Wagner, la Russie et Daglo, qui est très impliqué dans le trafic d'or.
Toutefois, bien qu'ils aient des intérêts convergents, la Russie ne soutient officiellement pas le général Daglo
La guerre des généraux n'est pas une situation très favorable aux intérêts russes
En s'opposant systématiquement aux résolutions de l'ONU, condamnant la Russie et sa guerre contre l'Ukraine, le Soudan a prouvé qu'il était un allié fidèle de la Russie qui est son principal fournisseur d'armes et de céréales.
Le Soudant fait partie des pays africains importants pour la Russie dans lesquels elle développe une influence croissante notamment sur le plan militaire et sécuritaire.
Depuis longtemps la construction d'une base navale russe à port Soudan sur la mer rouge est à l'étude mais la crise actuelle ne manquera pas de retarder sa réalisation. Moscou a besoin de stabilité pour pousser ses projets et son influence stratégique pour le contrôle de la mer rouge. D'où les appels au cessez le feu répétés de la Russie pour mettre un terme le plus rapidement possible à cette guerre des généraux.
LES OCCIDENTAUX EVACUENT LEURS RESSORTISSANTS, WASHINGTON NEGOCIE
Côté occidental, les USA ont assuré un rôle de médiation entre les deux camps, aboutissant le 25 avril à la conclusion d'un fragile cessez le feu de trois jours pour évacuer les civils et ouvrir des couloirs humanitaires.
Les Forces de la Liberté et du Changement, des civils opposés à la junte, qui sont très actifs sur le terrain et mobilisent de très nombreux partisans pour un retour du pouvoir aux civils, espèrent que cette trêve donnera lieu à un dialogue pour obtenir un cessez le feu définitif.
Les USA et leurs alliés travaillent à la mise en place d'une commission chargée de négocier une cessation permanente des hostilités.
La France n'a officiellement pas pris parti pour l'un ou l'autre généraux dans le conflit. Paris s'est essentiellement concentré sur l'opération « Sagittaire » d'évacuation des ressortissants français et étrangers du Soudan. 538 personnes, dont 209 français ont été au total évacuées.
Depuis ce rapatriement, bien que l'intensité des combats et les atrocités à l'égard des populations civils n'aient pas diminué, plus une ligne dans les médias français sur cette guerre, comme si le retour sur le sol français de nos concitoyens avait ôté tout intérêt au suivi de ce conflit.
L'ARABIE SAOUDITE ET LE PRESIDENT DU SUD SOUDAN ONT PROPOSE LEUR MEDIATION
Depuis le 6 mai des discussions sont en cours à Djeddah en Arabie Saoudite, entre représentants des belligérants et de l'ONU pour, dans un premier temps et dans l'urgence, aménager des couloirs humanitaires puis dans un second temps en finir avec cette guerre civile.
La Chine, quant à elle, continue à exploiter le pétrole et ne se manifeste pas ostensiblement.
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